Procès des attentats du 13 novembre 2015

Décision sur intérêts civils

25 octobre 2022

La question de la recevabilité des constitutions de parties civiles à V13

 
Le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’est tenu pendant plus de 10 mois, de septembre 2021 à juillet 2022, devant la Cour d’assises antiterroriste spécialement composée de magistrats professionnels, sur l’île de la Cité, à Paris.

Ce fût l’occasion de retracer le parcours des terroristes des commandos qui ont frappé Paris et Saint-Denis le soir du 13 novembre ainsi que celui des vingt accusés du procès, d’examiner les charges pesant sur chacun, mais aussi d’entendre les témoignages de plusieurs centaines de victimes.

Le verdict a été rendu le 29 juin 2022 : l’ensemble des accusés ont été condamnés.

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L’audience sur intérêts civils dont l’objectif était de statuer sur la recevabilité des constitutions de partie civile des victimes et de se prononcer sur leur indemnisation (renvoi ou non devant la Juridiction de l’Indemnisation des Victimes d’Actes de Terrorisme JIVAT qui sera chargée de l’indemnisation) s’est tenue le 5 juillet suivant.

La décision a été mise en délibéré au 25 octobre 2022. Elle était particulièrement attendue.

La Cour d’assises a reçu les constitutions de partie civile des personnes physiques suivantes :

⇒ « L’ensemble des personnes tuées, blessées physiquement ou psychologiquement, séquestrées ou menacées, leurs ayant-droits ainsi que toute personne justifiant d’une intervention immédiate sur les lieux des faits » alors que l’action criminelle était toujours en cours.

⇒ Les proches en cas de survie de la victime directe « afin de prendre en compte l’affliction des proches à la vue de sa déchéance, de sa douleur et de la diminution de ses capacités physiques et psychologiques ». La Cour d’assises ajoute que les proches des victimes directes ont subi « un traumatisme consécutif à la vision ou la découverte de la mort ou des blessures qu’elles soient physiques ou psychologiques de leurs parents ». La Cour d’assises précise les critères d’appréciation de la recevabilité : lien de parenté, communauté de vie, fréquence des liens et pièces produites comme éléments justificatifs des liens, étant précisé que le lien de parenté et la communauté de vie ne sont pas jugés indispensables. Le Fonds de garantie a une approche différente et en fait des conditions sine qua non du droit à indemnisation.

⇒ Les victimes du Corbillon (occupants, locataires ou propriétaires) en développant l’idée d’une « scène unique de crime initiée à Bruxelles et qui s’est déroulée le 13 novembre 2015 » et qui n’a été interrompue que par l’intervention des services de police à Saint-Denis le 18 novembre 2015, et en caractérisant la volonté d’Abdelhamid ABAAOUD et Chakib AKROUH « de ne pas se rendre et au contraire de mourir en martyr quelque soient le moment ou les circonstances ». Juridiquement, les auteurs de l’explosion du 18 novembre sont certes morts, mais les accusés de V13 ont été condamnés pour association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation de crimes d’atteintes aux personnes et ce jusqu’au 18 novembre 2015. Après un long combat judiciaire, les victimes du Corbillon sont ainsi pour la 1ère fois reconnues victimes d’actes de terrorisme.

S’agissant des personnes qui se trouvaient à proximité des lieux des faits, à faible distance des explosions ou des scènes de tirs, la Cour d’assises s’est livrée à une appréciation au cas par cas.

La Cour d’assises a ainsi reçu les constitutions de partie civile des personnes qui se trouvaient à l’intérieur d’établissements situés à proximité immédiate des établissements directement ciblés : « ayant pu être visés au vu du périmètre aléatoire ou du moins étendu des tirs ». Il en va de même pour les personnes se trouvant à l’extérieur, mais à proximité immédiate des établissements directement ciblés par les tirs.

En revanche, la Cour d’assises a écarté les personnes qui se trouvaient à l’intérieur du Stade de France en estimant qu’elles n’ont pas été directement exposées au fait terroriste. La question de leur recevabilité se posait particulièrement à la suite des décisions rendues par la Cour de cassation le 15 février 2022 admettant la constitution de partie civile de « ceux qui se croyaient légitimement exposés ».

De même, la Cour a écarté la constitution de partie civile de secouristes sur la base de leur présence en dehors du périmètre des tirs et des explosions.

Quant aux personnes morales, la Cour d’assises spécialement composée en matière de terrorisme a :

⇒ Reçu les constitutions de partie civile des sociétés propriétaires ou exploitantes des établissements visés par les attentats au motif qu’ « une personne est recevable à se constituer partie civile du chef d’association de malfaiteurs dès lors que l’information l’a clairement identifiée comme victime potentielle du délit ou du crime poursuivi sous cette qualification et que le préjudice dont elle demande réparation prend sa source dans cette entente », et en précisant que les lieux où les jeunes se retrouvent ont été ciblés dès la constitution de l’entente criminelle terroriste.

⇒ Ecarté les constitutions des villes de Paris et de Saint-Denis estimant que même si elles ont été visées, les préjudices allégués (matériels et atteinte à l’image) ne découlent pas directement des éléments constitutifs des infractions pour lesquelles les accusés ont été condamnés, ce qui constitue une application de la jurisprudence de la Cour de Cassation développée à l’occasion de la tentative de constitution de partie civile de la ville de Nice dans le cadre de l’information judiciaire qui a suivi l’attentat du 14 juillet 2016 (arrêt du 12 mars 2019 n°18-80911). « L’entreprise terroriste n’est susceptible d’avoir porté atteinte, au-delà des victimes physiques, qu’aux intérêts de la nation ».

La ville de Saint-Denis a annoncé avoir interjeté appel contre cette décision du 25 octobre 2022. La Cour d’appel devra donc réexaminé la question de la recevabilité de la ville de Saint-Denis.

Tous les accusés, à l’exception de Farid KHARKHACH, ont été déclarés solidairement responsable des dommages causés aux parties civiles, y compris ceux condamnés pour association de malfaiteurs terroriste ou simplement recel de malfaiteurs.

Pour Farid KHARKHACH, intermédiaire dans un réseau de faux-papiers, poursuivi sous la qualification criminelle d’association de malfaiteurs terroriste, finalement condamné du chef du délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre des escroqueries, « la Cour d’assises considère qu’il n’existe pas de lien direct entre les faits matériels retenus (…) et les préjudices allégués par les parties civiles ».

Le Fonds de garantie chargé de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, qui limitait jusqu’à présent l’indemnisation aux victimes directes et très proches des victimes décédées, fera-t-il évoluer sa doctrine en acceptant d’indemniser les proches des victimes blessées ?

La question est ouverte…

La Cour d’assises chargée de juger l’attentat commis à Nice le 14 juillet 2016 (procès actuellement en cours) restera-t-elle dans cette ligne ? Réponse bientôt.

 


Laura Costes avocat à Toulouse spécialisé en droit pénal et effacement de fichiers
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